Avis CGT sur le Livre Blanc de la Défense

DÉCLARATION DES FÉDÉRATIONS CGT

DE LA MÉTALLURGIE ET DES TRAVAILLEURS DE L’ÉTAT

Alors que dans les prochains jours le Livre blanc sur la Défense sera publié, jamais une telle menace budgétaire n’avait plané sur les capacités militaires de la France depuis plus d’un demi-siècle. Les rumeurs et fuites organisées de ces dernières semaines, les scénarii envisagés ne présagent rien de bon pour notre outil de Défense et le secteur industriel qui lui est dédié.
L’objectif du Livre blanc est de définir les hypothèses des évolutions internationales, de tracer les objectifs et la stratégie de la politique de défense nationale et de préconiser le niveau de ressources que la Nation entend consacrer à sa défense. C’est le contenu du Livre blanc qui servira à l’élaboration de la prochaine Loi de Programmation Militaire (LPM) pour les années 2014-2019. La LPM est un engagement financier pluriannuel déterminant les effectifs civils et militaires, les crédits d’équipements et de recherche qui seront affectés au ministère de la
Défense, et par ricochet qui définiront le niveau d’activité des industries de Défense. La CGT est demandeuse depuis de longues années qu’à cette Loi de Programmation Militaire soient associés des plans pluriannuels d’activités engageant pour les entreprises concernées et, dans ce contexte, le rôle de l’État est essentiel.

Patrimoine exceptionnel de notre pays, l’industrie de Défense constitue un secteur
d’excellence mondial : avec 170 000 emplois directs, 200 000 emplois indirects, 4 500 PME, elle constitue un pôle essentiel de Recherche & Développement. La CGT ne compte pas sur l’intervention des grands patrons des entreprises d’armement auprès du Président de la République pour maintenir et développer l’emploi dans notre secteur d’activité. Tous ont mené, depuis des années, des restructurations drastiques qui ont détruit des milliers d’emplois et sacrifié des pans entiers de notre industrie. Pour la CGT, préserver cet outil industriel remarquable sans que ce soit lui qui dicte les choix stratégiques de Défense nécessite que l’État stratège remplisse son rôle essentiel de commande publique pour que la France conserve l’ambition d’être une nation souveraine et indépendante.

La seule arithmétique budgétaire dans le domaine de la Défense est un péril aussi important pour l’économie et l’emploi en
France que le capitalisme sauvage. Pour cela, il faut revenir aux fondamentaux de la politique de Défense. Il faut arrêter de
jouer au yoyo budgétaire car en deçà d’un certain seuil, ce sera la déstructuration de l’ensemble de l’outil de Défense et de
son tissu industriel, avec des risques de nouvelles pertes énormes de capacités et de savoir-faire.
La CGT ne prône pas une augmentation des dépenses militaires. Le budget de la Défense doit être considéré dans son ensemble, être suffisant pour assurer à nos forces armées la conduite de leurs missions de défense du territoire et des intérêts nationaux, de ses missions de service public au service de la population. Et surtout, la France doit garder les moyens industriels pour répondre aux besoins de ses forces armées, sous peine de perdre son indépendance et sa souveraineté. C’est ainsi qu’il faut redéfinir les cercles de souveraineté édicté par le Livre Blanc de  Sarkozy, lequel considère que seuls la force de dissuasion nucléaire, le renseignement et le spatial relèvent du domaine de la souveraineté, les autres domaines pouvant être communs à plusieurs nations, voire achetés directement sur étagères étrangères. C’est le cas notamment de l’armement terrestre.
La CGT revendique, par ailleurs, un désarmement multilatéral de la force de dissuasion nucléaire qui grève le budget de la défense de 3,6 milliards par an et qui reste une menace terrible pour l’humanité.
Face aux défis géopolitiques actuels, notre Défense ne doit pas être seulement dimensionnée pour faire face aux menaces actuelles, mais aussi pour permettre à la France de rester maître de son destin. Il est à craindre que le Livre blanc ne réponde pas à cet objectif car tout laisse croire à une trajectoire budgétaire en grave diminution sur plusieurs années.

Si le Livre Blanc sortait selon les scénarii actuellement à l’étude, on pourrait malheureusement s’attendre à des fermetures de sites militaires et industriels, à des privatisations et externalisations d’activités, à des abandons ou étalements de programmes structurants pour l’industrie de défense et son avenir, ainsi qu’à la cession partielle ou totale des participations publiques de l’État dans les groupes industriels (ces participations représentent près de 10 milliards d’€ au total qui pourraient être « utilisés » pour boucler la prochaine loi de programmation). Les bijoux de famille, ON NE LES VEND QU’UNE FOIS !

La question de la place de l’Europe dans les questions de politique étrangère et de défense doit être sérieusement examinée. La réalité actuelle de l’Europe montre clairement qu’elle n’est pas en mesure de jouer un rôle central en la matière. Incapacité à défendre des positions communes, incapacité à décider et conduire des actions en commun. L’articulation Nation-Europe-OTAN doit être interrogée à  nouveau, quand les USA réorientent leur dispositif vers le pacifique et que les budgets européens de défense deviennent indigents sous la pression des politiques de réduction de la dépense publique.
La souveraineté reste nationale, la Défense aussi !

Dans la période qui s’ouvre, des questions politiques de fond vont être posées, dans un contexte particulier de crise financière et économique, avec tout d’abord les arbitrages du Président de la République, et ensuite les débats parlementaires sur la future loi de programmation.
Nationalement comme localement, la CGT est déterminée à s’exprimer et agir dans les entreprises, auprès des politiques, en direction des populations, des médias… Les questions de Défense ne peuvent être confisquées par l’élite politique sans que les citoyens n’aient démocratiquement leur « mot à dire ».

En France, il y a besoin d’un vrai débat national sur les questions de défense portant notamment sur :
– les missions et le rôle de notre outil militaire
– le maintien d’une industrie d’armement permettant à la France de conserver son indépendance et sa souveraineté
– la mise à contribution de cette industrie pour réindustrialiser le pays
– l’utilisation de l’argent public pour financer les missions régaliennes de l’État dont la défense fait partie
Ces questions sont au coeur de la proposition de la CGT d’un Pôle Public National de Défense que le 50ème Congrès de la CGT vient de réaffirmer comme orientation.

En partant de la réalité des différents acteurs du secteur industriel de Défense, de sa
diversité de statuts juridiques, des statuts et garanties collectives des salariés qu’il emploie, l’objet du Pôle Public National de Défense est de conforter les atouts de la France au service d’une défense nationale suffisante et non-agressive, participant activement au maintien de la sécurité en France et en Europe. Nos deux fédérations avec la confédération sont décidées à porter résolument cette proposition novatrice et ambitieuse, seule alternative à la politique de marchandisation de la Défense menée depuis des années.

Les armes ne sont pas des marchandises comme les autres, un encadrement public est donc indispensable pour éradiquer le commerce des armes qui favorise les tensions internationales et fragilise la Paix. Un désengagement supplémentaire de l’État dans les capitaux des entreprises d’armement participerait à une  dérèglementation plus grande encore de ce secteur stratégique et serait contraire à la moralisation du marché de l’armement. Par ailleurs, la CGT réaffirme qu’aucun projet industriel n’est viable à long terme s’il se fonde sur l’exportation, dont chacun sait qu’ils sont tous générateurs de transferts de technologies. Dans ce contexte que beaucoup confinent à des questions uniquement budgétaires, la CGT souhaite que le débat s’élargisse aux questions capacitaires, industrielles et d’emplois. La
France a besoin de son industrie de Défense et la défense de celle-ci passe par la localisation de l’activité et de l’emploi dans l’hexagone.
La mise en place d’un Pôle Public National de Défense répond à la conception du rôle régalien et stratège de l’État :
· d’une part en faveur d’une politique de défense nationale et de sécurité en Europe et dans le monde au service de la paix et du désarmement,
· d’autre part de l’exigence d’une politique industrielle, de recherche et d’innovation dans le cadre d’un aménagement cohérent du territoire prenant en compte la maîtrise du développement durable.

Les populations, les salariés et leurs organisations syndicales doivent s’inviter à la barre des témoins. La CGT pour ce qui la concerne clame « justice sociale et  industrielle » et met les pieds dans « ce plat Défense ».
Le Président de la République, le Gouvernement et la Représentation nationale
se doivent d’entendre ces réflexions et revendications.

Imprimer cet article Télécharger cet article